L’association PERECOFIL brode depuis 1999 pour donner formes et couleurs à des textes de Georges Perec.
Pour échapper aux ouvrages de dames, coussins, mouchoirs et autres abécédaires. Par goût pour la littérature.
Parce que les couleurs de cotons à broder sont fixes.
Elles permettent d’établir un code pérenne, utilisable par tous et partout.
Parce qu’il a donné une forme à certains de ses textes.
En attribuant une couleur à chaque lettre de textes ainsi contraints, nous avons réalisé une œuvre à la fois plastique et littéraire.
Quiconque applique le Cahier des charges établi par PERECOFIL.
L’association PERECOFIL a été créée pour donner une existence légale à cette entreprise. Elle poursuit sa tentative d’épuisement des textes à contraintes formelles de Georges Perec. Elle organise des expositions, des ateliers et des manifestations autour de cet homme de lettres.
Au commencement, il y a la lettre.
Chaque lettre est représentée par un carré de couleur, sa graphie disparaît.
Les broderies sont réalisées au point de croix, sur de la toile Aïda 5.5.
Un Cahier des charges a été établi pour préciser les règles de composition des œuvres.
Les broderies terminées s’apparentent à certaines œuvres d’artistes modernes ou contemporains, comme Sophie Taeuber-Arp pour ses compositions géométriques brodées, Aurélie Nemours, Alighiero e Boetti, François Morellet, chez lesquels on retrouve l’abstraction géométrique, parfois un support textile, des choix aléatoires, l’application de principes de composition et souvent un jeu avec la lettre et les mots.
Le Cahier des charges définit les règles qui permettent de réaliser une broderie PERECOFIL.
Pour le Compendium de La Vie mode d’emploi, première œuvre réalisée entre 1999 et 2003, nous avions établi les règles suivantes :
Toile Aïda 5×5.
Mouliné 6 fils.
Point de croix.
Chaque lettre est représentée par un carré de 2pts x 2pts.
Une couleur est attribuée à chaque lettre de l’alphabet.
– La couleur des voyelles est empruntée à Rimbaud :
« A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, »1
– La couleur des consonnes est choisie de manière aléatoire dans un nuancier.
– La couleur jaune est attribuée au M car c’est la couleur fondamentale que Rimbaud n’a pas utilisée2.
– Les signes tels que les traits d’union, apostrophes, ponctuation, sont représentés par un carré, comme les lettres3. Ils ont tous la même couleur.
– Les chiffres sont également représentés pas un carré de couleur, ils sont tous identiques.
– Les espaces entre les mots sont laissées non brodées, elles occupent un carré de 2pts x 2pts, soit la valeur d’une lettre.
1 Arthur Rimbaud, Poésies, Voyelles, voir le sonnet entier en fin de document.
2 Sur la composition du Compendium de La Vie mode d’emploi, voir encadré en fin de document.
3 Dans la mesure où Perec les a comptés dans les 60 signes-espaces. En revanche, les guillemets (v. 22, v. 30), ont été brodés sur la moitié de l’espace qui précède et qui suit le mot auquel ils se rapportent, car ils ne sont pas comptabilisés mais figurent dans le texte imprimé.
Le Compendium, ainsi que ses traductions en anglais et en catalan, a ensuite été brodé en plus grand format (une lettre = 1 carré brodé de 4pts x 4 pts). Le cahier des charges pour ces 9 broderies a été affiné : les signes de ponctuation se distinguent des lettres, leur surface brodée n’occupant qu’une partie du carré qui leur est réservé, différente pour chaque signe.
Les poèmes à contraintes, ne comportant ni espace, ni ponctuation dans leur version « matrice », ont simplement été brodés avec le code-couleur dans différents formats : 6pts x 6pts, 8pts x 8pts, 11pts x 11pts, 12pts x 12 pts, et 16pts x 16pts pour les plus grands.
Dans les extraits des deux romans, La Disparition et Les Revenentes, seules les lettres ont été brodées, sans espaces ni ponctuation, pour matérialiser chromatique-ment la présence ou l’absence du E.
Un second code-couleurs a été élaboré. C’est uniquement dans le Compendium de La Vie mode d’emploi que le M a une place et une importance particulières, et doit se différencier des autres consonnes. C’est pourquoi nous avons établi un autre code-couleurs, dans lequel toutes les consonnes ont des nuances de jaune. Les textes brodés avec ce code-couleurs sont brodés sur toile Aïda noire.
Le même poème, Rail, brodé avec les deux codes couleurs, seules les consonnes varient.
Il est ainsi nommé parce que chaque vers résume un épisode du roman. Il se présente formellement en trois strophes de 60 vers chacune ; chaque vers est composé de 60 signes-espaces, si bien que chaque strophe s’inscrit dans un carré. En outre, chaque strophe est traversée par une diagonale senestro-descendante figurée par une même lettre qui se déplace d’une case à chaque vers, occupant au vers 1 la 60e place, au vers 2 la 59e … et ainsi de suite jusqu’au vers 60 où elle se trouve en première position. Cette lettre-diagonale est un A dans la première strophe, un M dans la seconde et un E dans la troisième, soit le mot ÂME.
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes : A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ; I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
– O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
Arthur Rimbaud
Alphabets : cent soixante-seize onzains hétérogrammatiques [1976]. Illustré par Dado. Paris : Galilée, 1985. 176 p. (tout le volume)
La Clôture et autres poèmes [1980]. Paris : Hachette, 1992.
La Clôture p. 11-27.
Ulcérations p. 57-67 (pour le texte en vers).
À Hans Dahlem p. 80.
Ulcérations,
Bibliothèque oulipienne n° 1, 1974. (pour la « matrice »).
Métaux,
Facsimile des manuscrits dans Cahiers Georges Perec n°5. Paris : Éditions du Limon, 1992, p. 156-165.
Beaux Présents, Belles Absentes. Paris : Seuil, 1994 (La librairie du XXe siècle). 90 p.
Noce de Kmar Bendana & Noureddine Mechri. p. 67-72.
(d’après la mise en forme de Rémi Schulz : http://remi.schulz.perso.neuf.fr/perec/cone.htm)
Ô mon fjord, in Action poétique n° 85, septembre 1981, p.77.
À la grave saison, poème inédit, in Lire n° 197, février 1992, p. 23.
Pouce-pouce, in Bulletin du Club Français de la médaille, n° 84, 1984, p. 46-47.
(tapuscrit reproduit dans Cahiers Georges Perec n°5. Paris : Éditions du Limon, 1992, p. 167).
Rail, in Oulipo. Atlas de littérature potentielle. Paris : Gallimard, 1981, p. 228-229.
J’ai cru voir, in Oulipo. La Littérature potentielle. Paris : Gallimard, 1973, p. 110.
Georges Perec, Romans et récits. Paris : Le Livre de poche, 2002 (La Pochothèque). Édition établie et commentée par Bernard Magné. 1440 p.
La Vie mode d’emploi, romans. Ch. LI, le Compendium, p. 946 à 952.
La Disparition. Extrait p. 407, lignes 22 et 23 ; p. 408, lignes 1 à 11.
Les Revenentes. Extrait p. 603, lignes 1 à 12.
Bernard Magné, Georges Perec, Nathan-Université, série « Écrivains » n° 237, 1999
Cahier des charges de La vie mode d’emploi. Présentation, transcription et notes par Hans Hartje, Bernard Magné et Jacques Neefs. Paris: CNRS éditions ; Cadeilhan: Zulma, 1993. 303 p. (Manuscrits)
Perec et l’art contemporain. Le Castor astral, 2010. (Cahiers Georges Perec 10)
Maryline Heck, Georges Perec : le corps à la lettre. Paris : Corti, 2012. (Les essais).
Cahiers Georges Perec n°5. Paris : Éditions du Limon, 1992.
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